Le trésor caché de Groenland

Le vaste empire romain n'a jamais atteint le Groenland. Pourtant, cette île lointaine est devenue le lieu incontournable pour les passionnés d'histoire économique ancienne. Les couches de glace du Groenland conservent des traces de plomb atmosphérique émis en Europe et en Afrique du Nord lors de la production d'argent. Les variations de ces niveaux de plomb reflètent les mouvements de la monnaie antique.

Des preuves contradictoires

Parfois, ces indices révèlent des incohérences. Lors des dernières décennies de la République romaine, les guerres ont perturbé l'accès aux principales mines d'argent de Rome. Malgré cela, d'autres indices montrent que la frappe des monnaies n'a pas diminué. Une étude récente publiée dans Archaeological and Anthropological Sciences propose une réponse. Les Romains auraient opté pour le recyclage, non seulement de leur propre argent, mais aussi de celui d'autres peuples, acquis par la force.

L'énigme du denarius

La recherche se concentre sur le denarius en argent, pilier de la monnaie romaine pendant près de 450 ans. Des archives historiques montrent que, entre le deuxième et le premier siècle avant J.-C., l'accès aux mines d'argent en Ibérie et dans le sud de la France a été perturbé par des conflits. Les carottes de glace du Groenland montrent également une baisse des concentrations de plomb à partir de 150 av. J.-C. Néanmoins, il semble que le nombre de pièces en circulation n'ait pas diminué malgré la rareté soudaine de leur principal composant.

Des hypothèses en jeu

Une solution aurait été de dévaluer la monnaie en diluant l'argent avec un métal moins cher comme le cuivre. Bien que certains indices le suggèrent, cette théorie ne suffit pas à expliquer la situation. Des données sur plus de 1 000 pièces conservées dans divers musées montrent que la teneur en argent d'un denarius est rarement tombée en dessous de 95% entre 160 av. J.-C. et 20 ap. J.-C. Les rares baisses ne correspondent pas aux interruptions de l'approvisionnement en argent.

L'or, un indice révélateur

Pour élucider ce mystère, l'analyse de la teneur en or des pièces s'est avérée cruciale. Tous les argents produits dans l'Antiquité contiennent de petites quantités d'or, variant selon la provenance de l'argent. La plupart des pièces analysées présentaient des niveaux d'or élevés, typiques de l'argent extrait en Ibérie. Cependant, vers 120 av. J.-C., des pièces avec de faibles teneurs en or ont commencé à émerger.

Le recyclage, une stratégie romaine ?

Face à ces découvertes, l'hypothèse d'une nouvelle mine d'argent a été écartée. Les données glaciaires ne montrent pas d'augmentation des émissions de plomb. La théorie la plus probable est que les Romains ont adopté une politique de recyclage. Ils auraient pu refondre leurs propres pièces, mais cela n'explique pas les variations observées dans les ratios argent-or.

Si l'on ne recycle pas son propre argent, l'autre option est de recycler celui d'autrui, avec ou sans son consentement. Les armées romaines, présentes aux quatre coins de l'empire, auraient eu de nombreuses occasions de collecter de l'argent ailleurs. Un exemple frappant est l'invasion romaine de la Gaule, où le ratio or-argent des pièces a chuté drastiquement après le retour triomphal de Jules César à Rome en 49 av. J.-C., les poches remplies de butin.

Ce trésor a largement contribué au financement de la guerre civile de César, dont les répercussions ont finalement conduit à la chute de la république. Vingt ans plus tard, en 27 av. J.-C., Gaius Octavius, fils adoptif de César et mieux connu sous le nom de César Auguste, devint le premier empereur de Rome. Les pièces et la glace semblent raconter cette histoire fascinante.